Le modèle, Kraftwerk et l’idéal de la neutralité.

 

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Les musiciens allemands d’après guerre ont voulu se démarquer de la période précédente, celle du nazisme et prendre leur distance avec la génération de leur parent.
Rompre avec la tradition est le credo de la jeunesse à partir des années 60. Trouver de nouvelles pratiques, de nouveaux horizons pour échapper à la malédiction.
La musique électronique qui émerge en Allemagne à cette époque et jusque dans les années 70, doit beaucoup à cette volonté de renouveau. Il y aura Stockhausen, Can, Cluster, Ash Ra Tempel, Kraftwerk, Cosmic Jokers, et des dizaines d’autres.

Fin des années 60 et dans les années 70, il est aussi important de relever que la plupart de ces groupes, ces musiciens, ne font pas que s’insurger contre le passé trouble de l’Allemagne mais aussi contre la société de consommation, le modèle américain qui s’est installé dans le pays sous le terme de « miracle économique allemand ». Les voies originales que vont arpenter pas mal de ces groupes doit beaucoup à ce « ni, ni ».
Kraftwerk est un cas particulier de cette double négation et « Das model » est un bon exemple de leur manière d’aborder la musique.

« Das Model »: la musique c’est du Kraftwerk pur jus: mélodies synthétiques imparables, rythmique carrée, structure très simple avec comme résultat un standard de la pop de la fin des années 70/début 80, un hit.
Les paroles de la chanson originale, en allemand, (cfr ci-dessous) sont très détachées, sans émotion, avec une pointe d’humour (la rime Sekt et Korrekt) qui est par ailleurs absente dans la version anglaise, encore plus neutre. Mais elles évoquent aussi un fatalisme autour de l’argent, de la reconnaissance, du succès. Avec un aspect très pathétique du personnage qui parle. C’est très ambigu.

Le clip de la chanson est particulier. Il s’agit d’images furtives du groupe mêlé à un montage d’images d’archives de « top model » qui défilent mais il y a un côté très daté, très vieillot qui ne colle à priori pas vraiment avec l’aspect moderne de la musique et même des paroles.
Si on regarde attentivement le début du clip on verra apparaître distinctement le sigle de la « UFA », c’est à dire des studios berlinois de cinéma (Universum Film AG) qui ont été créé en 1917 et qui à l’époque ont donné une impulsion nouvelle au cinéma allemand.

L’histoire de la UFA est très intéressante. Elle est crée à l’initiative de l’Etat allemand, c’est à dire l’Empire qui est alors en pleine guerre, le 18 décembre 1917. Initiative de l’entourage du Kaiser, la UFA est une société à capitaux mixtes dont les principaux actionnaires sont l’État et la Deutsche Bank. Il s’agissait de mettre en place un outil sinon de propagande, au moins de contrôle sur l’imaginaire. Le pouvoir allemand, pourtant réactionnaire et rétrograde, avait bien perçu la formidable machine à fabriquer du rêve qu’était en train de devenir le cinéma. Et avoir la mainmise sur ce média était devenu une priorité. La UFA va produire les principaux chefs d’oeuvre du cinéma allemand des années 20. (1)

Kraftwerk se réfère là à une image chargée de mélancolie, voire de nostalgie. Mais en mélangeant cette image avec celle d’une modernité froide et robotique incarnée par la musique et le chant, il en résulte une somme nulle, une sorte de neutralité ironique. Cette mélancolie détachée est l’idéal kraftwerkien. Elle laisse de la place à notre imaginaire et nous en faisons un peu ce que nous voulons (la chanson peut être interprétée comme ironique et par là subversive ou bien misogyne, voire réactionnaire, ou encore vraiment détachée et donc très “moderne”…)

Pour la version de Lem et pour le clip, c’est la proximité entre le modèle et la marchandise qui nous a intéressé. Le modèle est devenu un robot interchangeable, une machine que l’on jette. Le robot tente d’exister mais il est ramené à sa condition de robot. La neutralité n’est plus à l’ordre du jour, le pessimisme gagne du terrain.

Voici le lien pour le clip, réalisé par Flo Cha!

 

Et les paroles en allemand avec leur traduction (un peu littérale) du morceau original de Kraftwerk:
Sie ist ein Modell und sie sieht gut aus. (
C’est une Top-Model et elle est belle.)

Ich nehm sie heut’ gern mit zu mir nach Haus’.
 (Je la ramènerais bien aujourd’hui à la maison.)

Sie wirkt so kühl, an sie kommt niemand ran. (
Elle est si froide, personne ne peut l’approcher.)

Doch vor der Kamera da zeigt sie was sie kann.
 (Pourtant devant la caméra là elle montre ce qu’elle sait faire.)
Sie trinkt in Nachtclubs immer Sekt, korrekt! (
Elle boit toujours dans les night-clubs du mousseux, correct !)

Und hat hier alle Männer abgescheckt. (
Et elle y a déjà conquis tous les hommes.)

Im Scheinwerferlicht ihr junges Lächeln strahlt. (
Sous les feux de la rampe son jeune sourire rayonne.)

Sie sieht gut aus und Schönheit wird bezahlt.
 (Elle est belle et la beauté rapporte de l’argent.)
Sie stellt sich zur Schau für das Konsumprodukt. (Elle pose pour des publicités pour des produits de consommation.)

Und wird von millionen Augen angeguckt.
 (Et elle est reluquée par des millions d’yeux.
)

Ihr neues Titelbild ist einfach fabelhaft. (
Sa nouvelle couverture de magazine est tout simplement fabuleuse.)

Ich muss sie wiedersehen, ich glaube sie hat’s geschafft.
 (Je dois la revoir, je crois qu’elle a réussi.)

 

(1) Pour approfondir le sujet, plongez-vous dans la lecture passionnante de « De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand» de S. Krakauer (chez “l’Âge d’homme” ou chez “Flammarion” en poche).

 

 

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The elegant man

Dans le contexte de folie furieuse contemporaine,

une courte chanson a capella.

La voix s’y multiplie

Prend d’autres formes.

Hommage très modeste aux Beach Boys, fins spécialistes de la dilution de la voix unique,

ces metteurs en scène involontaires de l’irréalité du Moi.

Ici la machine nous donne accès à ces fantômes de nous-mêmes.

Je est un autre.

Le bonhomme de la chanson s’appelle « The injured elegant man ».

Il regarde vers le ciel, l’esprit dans les étoiles.

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Pour les 20 ans du Nova.

Il y a 5 ans, Lem avait joué en concert pour les 15 ans du Cinéma Nova.

Nous en avions profité pour reprendre la chanson « So much tenderness »  pendant qu’était projeté derrière nous sur le grand écran de la salle, le plan final du film “Le soldat américain”.
Voici, pour fêter notre cinéma préféré, une version studio du morceau. Nous l’avons enregistré à trois. Wilf joue la basse et la guitare, Flo les synthés, Ekla chante.

Longue vie au Nova!

Un mot sur le film « Le soldat américain ».
C’est le cinquième long-métrage de R.W. Fassbinder, tourné en 1970. Un film important pour le jeune homme que j’étais et qui le découvre début des années 80 projeté au Ciné Monty, place Fernand Cocq.

Le film est tellement sombre, sans perspective qu’il en devient un enchantement. Artifice, distance, absence d’espoir. “Enfin un peu de mon monde”, pensais-je en sortant dans la rue froide.

Sur la photo ci-dessous nous sommes à Lisbonne où nous avons également joué le morceau.

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LEM, “j’aime ton sang”.

LEM, Lunar Excursion Mobile, est un véhicule spatial. Peut aussi s’écrire Lem et se rapporte alors à l’écrivain Stanislav Lem, l’auteur de Solaris, adapté au cinéma par Andreï Tarkovski.

C’est aussi un groupe de musique. Je l’écris indifféremment Lem ou LEM.

Autour des années 2000, c’était mon projet en solitaire. Il s’est étoffé au cours du temps, avec la venue de Wilf et puis de Flo. Maintenant nous sommes unis comme les doigts de la main.

Cette semaine, pour saluer l’année nouvelle, un morceau qui s’intitule “J’aime ton sang”. Une chanson d’amour saignante. C’est une démo, enregistrée il y a quelques années, avec une électribe et une petite boîte à rythme mfb. Elle resurgit dans le présent depuis que nous nous sommes mis en tête de faire un nouvel album. Peut-être, un de ces jours, dans le studio, nous pencherons nous dessus ?

 

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Rue Hector Denis

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J’allais au Musée du Cinéma dès que je pouvais. J’habitais au premier étage de la rue Hector Denis. Au troisième étage, dans les combles, il y avait Annick qui vivait là. Elle était alcoolique. Quand elle était en trop mauvais état, je l’aidais à monter les escaliers et veillais sur elle. Elle avait dix ans de plus que moi, elle était perdue. Elle avait bien connu Yvon Vromman et quand je voulais en savoir plus (on était en 1988, “Les Tueurs de la lune de miel” s’étaient séparés 3 ans auparavant), sa mémoire devenait incohérente, très peu précise. Elle employait des adjectifs comme “gais”, “fête”, “excessif” mais elle n’arrivait plus à raconter une histoire. Avec l’alcool, son passé lui échappait. La fin de la décennie ne racontait plus d’histoire très précise. Plus rien ne se dessinait. Je remplissais des pages entières de griffonnages, de textes déstructurés. Des essais de scénarios aussi.

Un jour, nous avions décidé avec Yves de refaire un peu de musique, de relancer la machine. Un gars qu’on connaissait, Philippe, voulait jouer de la basse. Nous avons répété dans mon petit appartement. Deux synthés, une basse, le quatre pistes. Une seule répétition, un morceau. Une bonne synthèse de notre vision du monde.

 

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Tueurs 85

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1985, on en reparle beaucoup ces jours-ci avec l’arrestation d’un suspect dans le cadre de l’enquête sur les Tueurs du Brabant. Ils commettaient leur dernier massacre le 9 novembre. Rien que pour cette année là, en trois raids, les tueurs vont abattre 16 personnes.
La Belgique vit les derniers soubresauts de l’après-guerre, les dernières secousses. Quand le mur de Berlin tombera, il faudra encore attendre quelques années pour ressentir ce que signifiait la guerre froide pour une partie des gens proches du pouvoir, même si c’est parfois de loin en loin: la garantie d’une certaine impunité. Belgique, putain frigide: Spermicide l’a bien vu.
En attendant, le pays est morose, le chômage gagne chaque jour du terrain. L’atmosphère est délétère. L’énergie punk a tourné au drame existentiel pour certains et à la fuite individualiste pour d’autres.

Gerda a opté pour la première solution: elle voudrait partir et ne plus revenir.
Le morceau est de Béton Crise.
http://gerda.aredje.net/dvd.php?langue=f&texte=clip
Gerda 85: un film de P. Gélise et N. Deschuyteneer avec des musiques de

  • BeNe GeSSeRiT
  • Satin Wall
  • Snowy Red
  • The Cultural Decay
  • Isolation Ward
  • Carol
  • Pseudo Code
  • Polyphonic Size
  • Snowy Red
  • Béton Crise

gerda-dvd
http://www.gerda.aredje.net

 

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Police Control

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La séance de 20h15 vient de se terminer, il doit être 22h00. Je monte les marches de l’escalier qui me mènent vers le parc Royal. Il y a deux autres personnes autour de moi qui sortent eux aussi du film qui vient d’être projeté au Musée du Cinéma. Arrivés en haut de la deuxième volée, un gendarme vient à notre rencontre. Il arrête notre marche et demande nos papiers. Je vois sur le côté, à trois mètres, un militaire. Il est en treillis et porte une mitraillette. Il accompagne du regard l’intervention du gendarme. Je suis le deuxième à donner ma carte d’identité. Il vérifie et me laisse passer. Je m’avance et me rapproche du militaire en treillis. Je passe à côté de lui et ça me laisse une impression pas très rassurante. Le gars est très jeune, le doigt sur la gâchette. La camionnette à bande orange est garée le long de la rue Royale. Il y a encore deux autres gendarmes. Je me retourne, le troisième spectateur est passé aussi.
C’est pas la première fois que je me fais contrôler. J’ai des cheveux en bataille et l’air un peu trop déglingué. A Ixelles, j’ai du montrer ma carte à plusieurs reprises en quelques mois. Heureusement ce soir là ils ne vont pas vérifier sur le terminal. Ça peut prendre un quart d’heure et c’est pas marrant d’être face à eux pendant ce temps.
C’est 1985. Les CCC, les Tueries du Brabant et l’armée qui patrouille dans la rue en tenue de combat.

Pas de musique inédite aujourd’hui, un lien vers l’écoute du split 7 inch X-pulsion et Streets sur lequel on trouve le morceau Police Control des Streets.

On peut retrouver les trois morceaux de ce disque introuvable sur l’indispensable compilation: “Everything is Shit, Punk in Brussels 1977-79”
qui vient de sortir sur le label Sub Rosa

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http://www.subrosa.net/en/catalogue/captagon-years/punk-in-brussels-1977-79.html

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Sandra

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Sandra a une belle culture musicale et c’était déjà le cas à l’époque de Trumpet Call.         A ce moment, c’était aussi une assidue des radios libres. Elle avait une collection de cassettes multicolores sur lesquelles on pouvait écouter plein de trucs bizarres et moins bizarres, mais toujours intéressants. Sur une de ces cassettes, il y avait “Anne cherchait l’amour” de Jacno et c’est chez elle que j’ai entendu pour la première fois ce morceau important pour moi. Elle vient de m’envoyer ces photos prises par Jean Mich et qu’elle a développée elle-même, en 85. Merci pour ce cadeau !
Sandra a chanté sur deux morceaux de Trumpet Call, sortis d’une sorte de répétition/improvisation:  “Movement” (déjà sur le blog) et “We laugh”.

Alors voici “We laugh”. C’est Yves qui a fait la musique. C’est Sandra au chant.
 

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Triumph

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Cette année là, j’ai hérité d’une machine à écrire. Un triomphe !
J’ai commencé à taper sur le clavier.
Et très vite, la transe est arrivée.

Les mots succèdent aux mots, liés directement à la part non consciente.
Le bruit de la frappe et du chariot. Le tintement qui annonce la fin de la ligne et qui prépare à la suite, au rebond.
L’écriture comme dispersement de l’âme, fragmentation de l’être en infinité de signes.
Surtout ne pas laisser une trace qui tiendrait debout !
Et se laisser guider par le relâchement, la blessure, la présence au monde, le découragement, la paresse….

Bientôt les feuillets s’accumulent.

Un recueil prend forme.

“De Nic is dood” annonce fièrement la couverture.

C’est bien de cela dont il s’agit: de la difficulté d’être un humain en 1985.

J’ai rédigé alors mon acte de naissance:
“Je me souviens très précisément de ce premier fait terrestre, de
cette machine d’acier qui déboule et vient m’écraser. Je venais à
peine de naître; trente cinq tonnes balaient toutes mes illusions
dans un fracas étourdissant, presque sourd, et va terminer sa
course dans les buldings. Cette catastrophe ne trouvera dans l’existen-
ce de l’être mutilé et fragmenté, ne trouvera raison, résonance que
dans l’accident d’avion dont je fus à la fois le spectateur et la
victime.”

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Démo Trumpet Call (2) – Mars 1984

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Deuxième et dernier morceau de la Démo enregistré chez Claude Charles (merci Etienne!).
Le morceau, c’est “Wedding” mais dans une version instrumentale.      

 Appréciez le joli souffle: les masters étaient conservés sur des cassettes audio chrome.

L’exemplaire d’Yves et Sandra et le mien:

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